La conception anti-trinitaire
Jean Calvin a donc été suivi et ses doctrines adoptées par ses disciples et la majorité des réformés francophones. Cependant sa querelle et son attitude envers Michel Servet ont eu des conséquences. En Europe de l'Est aujourd'hui, Lituanie, Pologne, Roumanie, Hongrie, le conflit Calvin-Servet a nourri la conception anti-trinitaire. En effet précédemment Vaudois et Hussites s'étaient réfugiés en Pologne et l'homme de la Réforme dans ce pays est Jean Laski (1499-1560). Prêtre orthodoxe humaniste, il quitte l'Église en 1534 mais doit émigrer à Londres puis aux Pays-Bas, puis en Allemagne où il restera environ vingt ans attaché aux leçons de Luther et de la nouvelle Réforme.
En Pologne la Réforme s'implante assez vite mais reste le fait de lettrés et de nobles alors que le peuple et les paysans ne se sentent pas concernés par ces besoins de réformes et iront jusqu'à piller les temples. Parallèlement à la Réforme "officielle" va se développer
l'unitarisme, la conception anti-trinitaire propagée par les voyageurs suisses notamment. Le martyr de Michel Servet y est rapporté et, dès 1556, au synode de Secemin, Pierre de Goniatz dira: «La Trinité n'existe pas, ce n'est qu'une invention récente. Le credo d'Athanase est à rejeter, c'est une affabulation. Dieu le Père est le seul Dieu, en dehors de lui il n'y en a aucun. Christ est le serviteur du Père.» Une telle position est très dangereuse car elle renie la divinité de Christ et en fait une simple créature. Goniatz n'a pas compris que
Christ est Dieu manifesté dans la chair comme Fils unique. Comme la grande majorité des gens qui se disent chrétiens, il ne put saisir que
Christ est lui-même le Père, le Fils, et le Saint-Esprit en une seule Personne, et non trois.
Peu après Pierre de Goniatz publie: «
Du Fils de Dieu un homme, Christ Jésus», polémique qui signe la rupture avec les calvinistes. Ainsi dans les années 1565 se forme l'Ecclesia minor, la plus petite Église de chrétiens anti-trinitaires. Les membres de l'Ecclesia minor s'appellent entre eux "Frères" ou "Frères polonais", ils ont leurs propres synodes, et sont menacés de mort ou d'expulsion par les protestants traditionnels. Pourtant à Rakow sera publié le «
Catéchisme de Rakow» en 1569, qui sera traduit en allemand en 1608, en latin en 1609, en anglais en 1652 puis réédité en Hollande en 1884. L'Ecclesia minor sera interdite en 1658 et on donnera deux ans aux Frères pour rentrer dans l'Église catholique ou s'exiler.
Toujours en Pologne les Socins auront aussi une influence considérable de Lelio et Fausto Socin. Lelio Socin (1525-1562), né à Sienne, se consacre d'abord à des études juridiques, tout en s'attachant à la lecture de la Bible et à la théologie. D'esprit curieux, il étudie et émet des critiques face à certains dogmes catholiques, notamment celui de la Trinité. Dès 1544, Lelio Socin voyage en Europe: France, Angleterre, Suisse où il rencontre Jean Calvin à Genève. Ce dernier est en désaccord avec les idées de Lelio Socin, en particulier ses critiques du concept de Trinité ou de celui de la prédestination. Lelio Socin gagne ensuite l'Allemagne et se lie d'amitié avec Melanchton, qui a succédé à Luther. Puis c'est la Pologne, alors ouverte à toute idée réformée, que Lelio Socin traverse avant de revenir à Zurich, via l'Italie où il est inquiété par l'Inquisition. Il meurt à Zurich en 1562.
Fausto Socin (1539-1604), neveu du précédent est né à Sienne et fait des études de droit parallèlement à la théologie. Il réside à Lyon de 1539 à 1562, puis se rend à Zurich; il publie bientôt anonymement «
L'explication des premiers chapitres de l'Évangile de Jean» où ses idées anti-trinitaires sont déjà bien présentes. Il est de retour en Italie jusqu'en 1574 puis en Pologne. Il quitte Cracovie en 1583, mais reste en Pologne où il se marie et réside sous la protection d'un seigneur polonais. Il meurt dans ce pays d'adoption en 1604.
Enfin, en Transylvanie, le réformateur hongrois Ferencz David (1515-1579) laisse une marque profonde. Né à Cluj, formé à Wittenberg, David est d'abord luthérien, il se rallie ensuite au calvinisme, pour choisir définitivement
l'unitarisme. Il écrira:
«Dieu m'est témoin que ce que j'ai appris et enseigné ne vient ni du Coran, ni du Talmud, ni de Servet, mais de la Parole du Dieu vivant. Mon enseignement se fonde uniquement sur ce que contient la Bible.»
Contre la violence, il dira aussi en 1568 à Torda, à la Diète de Transylvanie:
«Nous décrétons que tout prédicateur est libre de prêcher et d'expliquer l'Évangile tel qu'il le comprend (...) Aucun prédicateur ne doit être inquiété et sanctionné par les autorités civiles ou ecclésiastiques à cause de son enseignement. Personne ne doit être privé de travail ni emprisonné ni puni de quelque manière que ce soit à cause de ses opinions religieuses. Car la foi est un don de Dieu et elle vient de l'écoute de la Parole de Dieu.»
Mais en 1571 meurt le roi Sigismond qui soutenait David. Dès lors, ce dernier est menacé, arrêté, jugé. Les calvinistes réclament la peine de mort, mais la condamnation sera l'emprisonnement à perpétuité. Enfermé au château de Déva, David meurt en 1579, sans avoir pu laisser beaucoup de traces, écrites ou orales, sur ses dernières années. Et cependant
l'unitarisme a continué à se développer en Hongrie, où, toujours minoritaire, il n'en est pas moins resté présent.