Sébastien Castellion
L'affaire Michel Servet semblerait être terminée avec le bûcher du 27 octobre 1553, mais l'Histoire n'a pas abandonné le martyr. Les flammes et la persécution éteintes, des voix s'élèvent. Et d'abord contre Jean Calvin lui-même. Questions, reproches, doutes. Le chancelier de Berne, Nicolas Zurkinden ne dira-t-il pas: «J'aime mieux que nous pêchions, le magistrat et moi, par excès de clémence et de timidité, que d'incliner trop vite à la rigueur du glaive». Calvin, qui sait que cette opinion est partagée, répond en publiant dès février 1534, en latin et en français, une «
Déclaration pour maintenir la vraie foi que tiennent tous chrétiens de la Trinité des personnes en un seul Dieu», où l'auteur rassemble à la fois vol, meurtre et adultère, donc peine de mort. À cette publication, une signature anonyme répondra par le «
Traité des hérétiques».
Ce traité cependant parvient entre les mains de Calvin qui ne se trompe pas en pensant que l'auteur est Sébastien Castellion (1515-1563). Né aux environs de Nantua, ce dernier fait ses études à Lyon, quitte l'Église catholique et s'installe à Strasbourg en 1540. Là il rencontre Jean Calvin qui l'appelle ensuite à Genève, mais très vite les deux hommes entrent en désaccord.
Castellion repart pour Bâle en 1545, où il va travailler notamment dans une imprimerie, et se voit nommé professeur de grec à l'université en 1553. En 1555, il publie une traduction de la Bible dans la langue populaire en employant "le jargon des gueux". Cela lui sera reproché, ainsi que certains de ses commentaires, en particulier sur la difficulté de compréhension de certains passages, dans sa volonté de les rendre lisibles pour le plus grand nombre. En 1562, il publie encore le «
Conseil à la France désolée» où transparaissent sa tolérance et sa grande ouverture d'esprit quand il écrit: «Les deux religions (doivent être) libres et chacun (doit) tenir sans contrainte celle des deux qu'il voudra». Le livre sera condamné par le synode protestant de Lyon qui se tiendra en 1563.
Sébastien Castellion ne cache plus son désaccord avec la doctrine de la prédestination de Calvin, comme il se rapproche en outre du concept de la communion de Zwingli. En se détachant de la prédestination de Calvin, Castellion tomba dans l'hérésie du Pélagianisme qui prit forme au temps de la Réforme sous le nom d'
Arminianisme. Enfin, de la lecture de la Bible, Castellion a une approche historico-critique, et
plaide l'amour de Dieu et du prochain plus que l'obéissance aux doctrines. Sa doctrine convient au christianisme contrefait des mouvements évangéliques modernes. Jugés dangereux et condamnables, nombre de volumes de Castellion ne seront publiés qu'après sa mort.
Mais ce qui déterminera un réel conflit entre Calvin et Castellion réside dans l'affaire Michel Servet. La mise à mort pour raison doctrinale a indigné Castellion. C'est alors qu'il publie le «
Traité des hérétiques», où il a rassemblé tous les textes, anciens ou plus récents, qui condamnent la peine de mort pour opinions doctrinales divergentes. À ce Traité, c'est Théodore de Bèze qui répondra par un autre traité pour justifier le bûcher. Traité auquel Castellion réplique encore par un autre écrit «
Contre le libelle de Calvin»: ce dernier texte, arrêté par la censure ne sera publié qu'en 1612 et touchera bien des consciences par sa célèbre phrase: «Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme». Mais il faut comprendre le contexte sociaux-historique violent dans lequel la Réforme se déroula. Il ne pouvait et ne peut encore avoir de tolérance pour les fausses doctrines, toutefois il est préférable d'exposer un hérétique publiquement que de le tuer, à moins que celui-ci s'en prenne à la vie d'un autre pour ses divergences doctrinales. Dans un tel cas tuer un homme c'est empêcher la violence de son poison doctrinale de se répandre. Le poison ne peut être toléré par le corps humain, encore moins par le Corps de Christ.